Amour et passion avec Mathieu Courtemanche
Le monde de la coiffure en est un, à ce jour, largement dominé par l’expertise et le savoir-faire féminins. Il fallait donc soit être passionné ou über visionnaire pour se lancer en affaires dans ce domaine, et briser les barrières pour la clientèle masculine. Retour dans les années ’50, le temps d’une coupe à l’ancienne et d’un bon scotch.
Retour vers le futur, version "Les Barbares"
O.CO: Mathieu Courtemanche, propriétaire et Barbare original… Toute entreprise est bonne à fonder, on dit qu’il n’y a jamais de bon moment pour le faire. Les “barber shops” font un grand retour dans nos coutumes, en partie grâce à vous. D’où t’es venue l’idée de fonder “Les Barbares”, et quel est ton “WHY” derrière ceci? As-tu grandi avec l’idée de devenir coiffeur/barbier, où tu as vu une opportunité d’affaires?
Il faut remonter au tout début de ma carrière, il y a plus de 14 ans, quand j’étais âgé de 17 ans. La coiffure était, à ce moment, probablement une des seules options pour moi. Je n’étais pas un “bon” adolescent, on m’avait renvoyé de 3 écoles secondaires. À un moment donné, on dirait que l’étau se resserre, que l’entonnoir devient de plus en plus mince, et tes options sont limitées. J’avais donc le choix à l’époque de faire un DEP (Diplôme d’Études Professionnelles) ou un cours privé. En regardant tout ça, je me suis dit que je n’étais définitivement pas quelqu’un de manuel, donc c’était certain que je ne pouvais pas m’en aller dans la construction. Mais, je suis capable de parler aux gens, me faire des amis facilement. Je n’ai jamais eu de problème à faire des exposés oraux à l’école, donc je voulais aller travailler dans le public. Je tripais sur la mode et cet environnement-là, alors j’ai décidé de me lancer vers la coiffure. Le problème, qui a persisté à travers les années, est que ce métier a toujours été vu comme une vocation dans laquelle il n’y a que des femmes. Et quelque part, c’est normal, il y en a beaucoup, de femmes! C’est un milieu très féminisé, un peu comme la cuisine à l’époque. Maintenant, on voit une multitude de cuisiniers cools, tatoués, qui s’affichent un peu partout.
O.CO: Justement, vois-tu le métier de barbier comme étant le “nouveau chef cuisinier”?
MC: Oui, à 100 milles à l’heure! Et je pense que, à la base, mon “WHY”, était de rendre tout cet univers plus masculin. Parce que nous, chez Les Barbares, sommes un “barber shop”, mais on y retrouve l’ambiance d’un garage. Et c’est bienvenue aux Dames! Les avantages que l’on a sur beaucoup d’autres, c’est que nous avons une bonne clientèle féminine, qui se sent bien dans ce concept-là. Donc je pense que mon “pourquoi” du début, c’était vraiment de masculiniser une passion qui m’habite depuis toujours, et de l’emmener vers un mélange entre un salon de coiffure et un garage.
O.CO: On a parlé du concept des chefs cuisiniers déjà, mais vois-tu l’expérience du Salon de Barbier moderne comme l’équivalent masculin de l’esthéticienne, de l’expérience de la manucure/pédicure? Est-ce le moment où l’homme moderne peut décrocher de sa routine?
MC: Ce qui est intéressant avec le retour des barbiers, et le retour à l’ancienne, c’est que l’homme ne se sent pas féminisé en se faisant couper les cheveux et la barbe. Les hommes en général, et je ne veux absolument pas manquer de respect à ceux qui le font, ne vont pas se faire faire des pédicures et manucures, justement. Ils vont se faire masser s’ils se blessent en s’entraînant, mais n’iront pas dans un spa se faire “flatter” uniquement pour se détendre. Donc je pense que c’est un moment de relaxation, oui, mais qui reste “mâle”. C’est apprécié, de venir aux Barbares, parce que tu as ton verre de scotch, une serviette chaude dans le visage, comme dans les salons de barbiers des années 1950, et oui, tu relaxes!
O.CO: Pour toi, ce concept-là… Est-ce que c’était un rêve, ou tu l’as développé en voulant créer une expérience que tu aurais toujours voulu avoir au niveau du service client?
MC: Les gens qui me connaissent savent que pour moi, le service client est d’une importance primordiale. Avant le talent, avant la pratique ou encore la qualité du produit, je pense que le service est à la base de tout. Le mot “Barbares” vient de “barbe” et “bar”, et non du sens pur de “barbares”. On a donc voulu rejoindre ces deux endroits. J’ai toujours rêvé d’un univers où je me retrouverais comme au bar du coin, où je connais tout le monde et tous discutent ensemble. C’est vraiment une ambiance de rêve que d’avoir pu mêler les deux!
O.CO: Tu as livré une information importante tantôt quand tu parlais de ton parcours, en disant que tu n’étais “pas un bon ado” et que tes options de carrière devenaient limitées. En affirmant cela, pour toi, est-ce essentiel de poursuivre vers une éducation supérieure pour être un entrepreneur?
MC: C’est essentiel d’avoir été chercher les outils dont tu avais besoin à la base. Ce n’est pas parce que tu ne vas plus à l’école que tu n’as plus accès à ces outils-là. J’ai été dans tellement de conférences, lu tellement de livres sur les affaires et l’entrepreneurship, fait du marketing de réseau pendant quelques années et ça m’a aidé à sortir de ma coquille. J’ai aussi vu des conférences et rencontré plein de gens d’affaires incroyables. Ce dont j’avais besoin, je suis allé le chercher. Il n’y a rien de gratuit en affaires! Si tu ne vas pas à l’école, ne lis aucun livre et ne t’informes pas sur le sujet, il ne se passera pas grand-chose. Mais si tu vas chercher les outils dont tu as besoin pour t’emmener où tu veux aller, oui, tu vas réussir. Alors si tu ne bâtis pas ton coffre d’outils à l’école, tu auras quand même besoin de ceux-ci, et il faudra trouver le moyen d’aller les chercher pour réussir.
O.CO: Tu m’emmènes un peu sur la “Question Claire Lamarche” de l’entrevue, mais.. As-tu senti que le système d’éducation québécois t’a laissé tomber? Visiblement, tu t’es bâti une entreprise, mais qu’à la fin de ton parcours scolaire, tu ne voyais qu’un nombre d’options limitées pour toi. Le système ne fonctionnait-il par pour toi? Ou pour les entrepreneurs?
MC: Je pense plutôt que c’est moi qui a laissé tomber le système. Ce système, il est présent, il est implanté. Alors tu peux toujours finir par te mouler dedans, et malgré les nombreuses lacunes, “fitter” dedans et réussir. Beaucoup le font et c’est bien correct ainsi. Pour moi, j’ai pris la décision de le laisser tomber, de me dire “je m’en cr**s, ce n’est pas ça que je veux faire de ma vie, j’ai d’autres plans”. Je savais un peu où je m’en allais, ça a été dur et long. Tu fais rire de toi quand tu passes par l’autre chemin, en fait, 90% des gens ne vont pas te croire ou n’auront pas confiance en toi justement parce que tu n’as pas été dans le système d’éducation. Bref, c’est définitivement mon choix, et non pas le système d’éducation qui m’a laissé tomber.
O.CO: Donc si on a des jeunes lecteurs qui lisent cette entrevue, ou des gens avec des fils encore aux études, tu leur passerais quoi comme message? De faire confiance en leur instinct, de suivre leurs rêves?
MC: C’est difficile, à 15 ou 16 ans, de bien connaître ses rêves, et de savoir ce que l’on veut faire professionnellement de notre vie. Moi, je pense fondamentalement que plus tu passes du temps dans ta journée à te consacrer à faire ce que tu aimes, plus tu auras du succès. C’est certain qu’à l’adolescence, on ne le sait pas encore, alors il faut essayer un paquet de trucs! À mon avis, la clé, c’est de mettre le plus d’énergie possible dans ce que tu aimes faire, et pour le plus longtemps possible à chaque jour. Par contre, peu importe ton rêve, il n’y a rien qui ne remplacera jamais le travail acharné. C’est la base de TOUT! Personne ne s’est rendu riche en ne travaillant que 40 heures par semaine, et c’est vraiment important de comprendre ça. Défonce-toi dans ce que tu aimes, et tu vas réussir, c’est sûr.
O.CO: Toi, qu’est-ce que tu aimes dans ce que tu fais? Est-ce encore la coiffure, ou davantage le côté entrepreneurial, la bosse des affaires?
MC: Ce qui m’a toujours passionné de mon métier, et ce qui va toujours continuer de me passionner, c’est la proximité que j’ai la chance d’avoir avec les gens. Je vois 12 ou 13 clients par jour, et chacun d’entre eux vient de milieux ou domaines différents. J’apprends énormément tous les jours en ayant cette proximité avec mes clients. Aujourd’hui, la majorité des services sont dépersonnalisés dans la plupart des endroits, comme des gros restaurants ou centres de conditionnement physique dont le but est d’avoir un gros volume de clients. Nous, dans ce qu’on fait (i.e. barbiers à l’ancienne), on en vient à connaître ta vie, tes enfants, ta femme, ta famille, et tout ça parce qu’on veut rester près de notre clientèle. Pour moi, avant la barbe, les cheveux et tout le reste, le plus important est cette proximité. Le seul point que je n’aime pas de ma position est d’exprimer ce qui me dérange ou me chicote par rapport aux gens avec qui je travaille, faire de la discipline, en quelque sorte. C’est pour cela que je m’entoure bien, et que j’ai un chien de garde avec moi, Chuck (Charles-Étienne Gervais, gérant de la succursale de Laval), qui a accepté de s’occuper de ces fonctions. Il faut savoir s’entourer de gens qui peuvent combler nos faiblesses!
O.CO: Les Barbares, c’est né à Laval, maintenant ça s’en va à La Prairie. Tu as clairement un projet de domination mondiale depuis les deux rives de Montréal! Ta vision pour les prochaines années, peux-tu nous en parler?
MC: Beaucoup de gens pensent que je fabule, mais “Les Barbares”, j’en vois un à New York, un autre à Paris, mais pour les prochains 3 ans, on parle de 6 succursales dans la province. Il est bien important de comprendre que le concept des “Barbares” est appelé à grossir, mais pour l’instant, on se concentre à développer en banlieue et à l’extérieur des grands centres. Principalement parce qu’on recherche beaucoup l’énergie familiale. Je n’ai rien contre Montréal, c’est une ville superbe que j’adore, mais je trouve que le marché recherche beaucoup la nouveauté. Un nouveau resto, un nouveau salon ouvrent, on va l’essayer jusqu’à ce qu’un autre nouveau concept ouvre ses portes. En banlieue, on s’attache un peu plus à nos endroits favoris, et notre concept s’attache bien à ce marché. Je pense donc à Trois-Rivières avant Québec, à aller chercher tous ces marchés avant les grandes villes. Mais d’ici 5 à 10 ans, c’est certain qu’on sera partout. Les Barbares auront des académies de barbiers à l’ancienne, où on apprendra à cirer des chaussures, d’être en mesure eux-mêmes de conseiller les clients au niveau des scotches et cognacs, pour vraiment devenir le “gentleman” parfait pour conseiller l’homme, mais qui est également en mesure de coiffer les femmes. On est vraiment en train de créer des “super-barbiers”, ou le barbier nouveau genre! Et ça, justement… Je veux que le jeune garçon de 16 ou 17 ans, qui voit notre publicité, avec des barbiers tatoués, se dise; “moi, c’est ça que je veux faire”. En plus de l’académie et l’expansion des salons, on est à créer l’image de marque autour de notre compagnie de vêtements et de nos produits pour la barbe et les cheveux. On développe un nouveau lifestyle! Ça en fait pas mal, en 9 mois!
O.CO: Donc tu es d’accord pour dire que la nouvelle façon de fidéliser de la clientèle est de bâtir une communauté et des solides relations avec ses clients? On vous reconnaît comme très actifs sur les médias sociaux, avec votre slogan “Êtes-vous Barbares”, également avec votre compte Snapchat qui est très actif… C’est vraiment la nouvelle façon de faire des affaires en 2016?
MC: Comme tu l’as dit, on aura beau étudier toutes les techniques du monde pour fidéliser les gens, je pense que la relation avec le client va demeurer le moyen le plus sain et le meilleur. Parce que tu veux bâtir cette relation dans ton approche, le client se sent bien et veut revenir. Avec les médias sociaux, il y a une façon de rester très près, et constamment connectés avec nos clients, qui ont un accès sur notre intimité et notre vie de tous les jours.