Entrevue avec Sandrine Balthazard

Le parcours entrepreneurial de Sandrine et la relève de l'entreprise familiale.

Sandrine Balthazard nous partage ses expériences

Entrevue vidéo:

 

Entrevue transcrite:

Opp : Sandrine, merci de prendre le temps de nous recevoir !

Sandrine : Eh bien, merci de venir dans nos bureaux ! Dans notre cellier

Opp: On est bien entouré en tout cas. 

Sandrine: C’est le genre de pièce que tu aimerais ça finir ta vie ici, je pense! S’il y a un quelconque drame qui se passe à l’extérieur, tu te dis : j’ai besoin de trouver un endroit pour passer le restant de mes jours, tu veux être embarré ici. C’est une belle façon de finir sa vie ! 

Opp: Il y a du bonheur partout. 

Sandrine: On est entouré de bonheur et de dur labeur. Parce que faire du vin c’est poétique, mais c’est très difficile. 

Opp: Le ferais-tu toi?

Sandrine: Ah oui! 

Opp: Cueillir les raisins, les pieds… tout ça?

Sandrine: J’ai fait les vendanges en 2010 et puis j’ai vu à quel point il y avait énormément de travail derrière. C’est un travail acharné de la part des producteurs de vin. Les gens n’ont aucune idée de tout ce qu’il se passe dans le procédé de la fabrication du vin. C’est énormément de travail autant physique que psychologique. 

Opp: Parle-moi justement de l’industrie du vin au Québec. Il y a 15 ans, on voyait des publicités de Caballero de Chile, de Harfang des neiges. Là, nous en sommes avec des pastilles de goût à la SAQ, nous nous amusons avec ça ! Est-ce que nous avons atteint l’apogée ? Est-ce qu’il y a place à de l’expansion encore au Québec ?

Sandrine : Absolument pas, à mon avis ! Nous pouvons faire un parallèle avec la nourriture. Moi, j’ai 34 ans, quand j’étais jeune les aliments frais nous les ne retrouvions pas tant que ça. Le poisson que nous mangions était du poisson congelé. Aujourd’hui, nous avons évolué énormément au niveau de la gastronomie. Puis, s’en est suivi le marché du vin. Au Québec, le monde du vin c’est un monde infini. Il y a tellement de possibilités, il y a tellement de choses à apprendre que nous n’arriverons jamais à un plateau au niveau de notre curiosité et au niveau de notre consommation. Peut-être au niveau de ta consommation…!

Opp: Oui effectivement!

Sandrine: La modération a bien meilleur goût! La SAQ fait bien pour piquer la curiosité des gens, éduquer le client. Ça fait partie de notre culture, de nos origines européennes, françaises, les gens au Québec aiment le vin. Nous sommes l’une des provinces où l’on consomme le plus par population donc, je pense que ça traduit notre amour du vin. 

Opp: Est-ce que l’on compte la bière là-dedans? 

Sandrine: En fait, on compte l’alcool en général! Si l’on veut des chiffres, je vais les dire approximativement. La SAQ génère 3 milliards de vente par année, et ce pour 5 millions grosso modo d’habitants qui ont l’âge légal de consommer. Si l’on fait un ratio de 3 milliards sur 5 millions, on aime notre alcool !

Opp: On picole! 

Sandrine: On picole! 

Opp: Toi, tu reprends l’entreprise familiale avec ton frère, Les Vins Balthazard, qui es une agence qui existe déjà depuis 20 ans au Québec.

Sandrine: Je ne veux pas faire un jeu de mots, mais oui…. La pognes-tu? Vingt ans vin ans? 

Opp: Non… non

Sandrine: (rires) Je me trouvais bien drôle! 

Opp: On va la garder au montage! 

Sandrine: Bloopers!

Opp: Tu reprends donc la compagnie qui existe depuis vingt ans! Ta passion de l’entrepreneuriat, ou de l’intrapreneuriat, ça vient d’où ? Ça l’a commencé quand ?

Sandrine: C’est sûr que, comme je l’ai dit, j’ai 34 ans et l’entreprise à 20 ans ce qui veut dire que j’étais adolescente quand mes parents ont décidé de lancer l’entreprise. C’est mes deux parents, ensemble, qui ont parti Les Vins Balthazard. C’est sûr que lorsque tes parents sont entrepreneurs, tu grandis dans cet environnement-là. Mon frère et moi, nous avons été curieux et impliqués. Au début, j’aidais ma mère avec la facturation. Maxime, mon frère, aidait un peu. Les producteurs de vins, à l’époque, restaient à la maison dans notre bungalow à Pointe-Claire. C’était très intime ! Nous avons développé une relation, évidemment professionnelle avec nos producteurs, mais une relation familiale aussi ; famille agrandie, amicale. C’est sûr que grandir dans une famille d’entrepreneurs ça vient chatouiller ce côté-là.

Opp: Tu tombes dans la potion quand tu es petite. 

Sandrine: Tu es exposé à ça! Nécessairement, tu y goûtes un peu. Alors que, lorsque tu es dans une famille où tes parents ont des emplois dans des entreprises, tu n’es pas exposé à ça avant beaucoup plus tard. C’est sûr qu’à l’adolescence quand mes parents ont parti l’entreprise, j’ai ce que ça leur a pris comme sacrifices, comme travail les premières années. De plus, cette flexibilité de pouvoir créer quelque chose qui te passionne, à laquelle tu rêves. Mon père était passionné de vins. Notre premier voyage vinicole date de 1990, j’avais 8 ans et mes parents ne s’étaient pas encore lancés dans l’entreprise à ce moment-là.  

Opp: C’est donc né d’une passion?

Sandrine: C’est né vraiment d’une passion de mon père et ma mère vivait un peu la passion à travers mon père ! Ça l’a piqué sa curiosité. Notre premier voyage dans les domaines à Bordeaux s’est fait lorsque Maxime et moi avions 8 et 10 ans respectivement. C’est sûr que cette passion-là du vin est née d’une passion familiale.   

Opp: C’est super à raconter quand tu reviens au mois de septembre ! 

Sandrine: C’est quand même cool!

Opp: Qu’est-ce que tu as fait cet été? Je suis allée dans des vignobles à Bordeaux. C’est intéressant ! 

Sandrine: Ça fait un peu snob (rires) ! Honnêtement, je n’avais aucun intérêt ! Je mentirais de dire le contraire. J’étais en voyage, je jouais avec les chiens au domaine. Je ne m’intéressais pas du tout à comment on fait le vin. J’aimais le muscat, parce que c’est un raisin un peu sucré, je trouvais ça le fun. Mon frère, lui, a commencé à être très intéressé à ce moment-là ! D’ailleurs, j’ai une photo de lui à 10 ans, pris sur le vif en train de déguster dans un sous-sol. Mon frère a vraiment été intrigué par le processus de faire du vin à ce moment-là, à 10 ans. Ça a commencé très jeune. Nous avons été exposés à la passion du produit, aux producteurs avec lesquels on travaillait, à l’entrepreneuriat aussi (à tout ce que ça prenait les premières années). Je dirais que ça l’a nécessairement éveillé quelque chose en moi. Au fil des années, à 19 ans, j’ai lâché le cégep, je n’aimais pas ce que j’étudiais. Je suis partie vivre à Paris, toute seule. C’est lors de mon voyage à Paris que j’ai été exposé au concept de Sephora. À l’époque, l’entreprise n’était pas encore en Amérique du Nord, on était en 2001. C’est à ce moment-là que j’ai eu une idée d’entreprise. Je suis revenue de mon voyage et j’ai annoncé à mes parents que je voulais lancer mon entreprise. Je suis allée chercher un prêt à la banque de 10 000$ pour me lancer en entreprise. 

Opp: La réaction de tes parents là-dedans c’était quoi? Généralement, lorsqu’on lance une entreprise tu veux toujours voir tes enfants prendre le relais de celle-ci. Ça a été quoi, leur réaction de voir que toi tu voulais te partir ta propre entreprise, sortir des sentiers battus ?

Sandrine: À la base, mes parents n’ont jamais eu le désir de que Maxime et moi, on reprend leur entreprise. Ils ne nous ont jamais mis cette pression-là. C’était vraiment, vous allez faire ce que vous voulez dans la vie. Évidemment, ils trouvaient que je n’étais pas reposante. Ça l’a toujours été comme cela, j’ai toujours eu des projets de grandeur. Par contre, ils ont toujours été derrière moi et ils m’ont toujours appuyé. Mon père a été très impliqué dans ce moment-là, il est venu avec moi lorsque j’avais mes rencontres à la banque et il m’aidait à négocier mes contrats. Ils avaient une belle implication, ils croyaient en moi. Ils trouvaient ça le fun qu’à 19 ans je veuille lancer une entreprise. C’est après quelques mois que j’ai réalisé que si je me plante ça va faire mal ! Je commençais ma vie d’adulte et j’étais très inquiète par rapport à des détails. J’ai réalisé que je n’étais pas prête à tout perdre. Quand tu es entrepreneur, il faut que tu sois prêt à tout laisser sur la table, à tout risquer. Je n’étais pas assez confiante avec mon projet d’entreprise donc, j’ai décidé de retourner le prêt à la banque, sans y avoir touché. J’ai alors décidé de m’inscrire au HEC pour aller faire des cours pour aller m’outiller. J’ai fait 3 certificats, ce qui m’a donné un BAC : Commerce de détail et distribution, Leadership organisationnel et Création d’entreprise. Le dernier certificat qui dure 1 an, qui te fait faire un plan d’affaires. J’ai énormément appris pendant cette année-là. On était 100 étudiants au départ et on était 15 étudiants à la fin de l’année à présenter notre projet. Les gens, tranquillement, se disaient : ce n’est pas pour moi, mon projet ne fonctionnera pas. Nous étions 15 étudiants à présenter devant un jury et c’est mon projet qui a remporté le coup de cœur du jury. 

Opp : Félicitations !

Sandrine : Merci ! Il y a eu 5 ans entre mon retour de Paris et le moment où j’ai présenté mon plan d’affaires au jury. 

Opp : Que dis-tu aux gens, il y a plusieurs entrepreneurs qui y vont de la ligne dure : ne va pas à l’école et lance-toi en entreprise ! Ou même que reprendre l’entreprise familiale, ce n’est pas vraiment être entrepreneur, qu’est-ce que tu leur réponds ?

Sandrine :  Je leur réponds que la vie ce n’est pas une ligne droite et qu’il n’y a pas une formule magique pour tout ! Je pense que d’être entrepreneur, c’est d’avoir la passion, c’est de croire en ton projet, c’est de tout mettre sur la table, c’est de ne pas dormir la nuit et c’est de tout risquer ! Comme moi ce que j’ai fait, d’aller m’outiller, c’est que j’avais besoin d’aller chercher des connaissances en comptabilité. J’avais besoin d’avoir un peu plus de bagages que ce que j’avais à 19 ans. Je suis contente de l’avoir fait. Ça peut être ne pas avoir été à l’école et d’être bien entouré. Si tu as une équipe qui se complète bien, par exemple Maxime et moi, nous sommes très complémentaires dans nos forces et nos faiblesses. Maxime est super pointilleux, il pense à tous les détails et il est plus conservateur que moi. Souvent, il me ralentit dans mes idées de grandeur. Pour ce qui est de ma part, je suis bonne dans le développement et je génère beaucoup d’idées. Ensemble, nous sommes vraiment forts. Souvent quand tu te lances en entreprise, tu es un "one-man show”. Tu dois te demander : est-ce que tu peux aller chercher cette expertise-là autour de toi ? Ce n’est peut-être pas à l’école, mais c’est d’être bien entouré. Puisque tu peux avoir la meilleure idée au monde et tu peux aussi être la pire personne pour gérer ton entreprise. Et cela est super important, parce que ce n’est pas parce que tu as l’idée du siècle que tu vas être un entrepreneur et que tu serais capable d’avoir ce que ça prend pour pouvoir te lancer une entreprise. J’aime le parallèle que l’entreprise familiale c’est vrai que certains vont dire : L’entreprise était déjà partie ! C’est vrai que Maxime et moi, nous avons eu l’opportunité d’avoir une entreprise qui était déjà en santé financièrement et il y avait déjà des employés. À l’époque, nous étions 5 et maintenant nous sommes 15 employés. 

Opp : As-tu vu ça comme plus de pression de reprendre cette entreprise-là qui vous a fait grandir, mais qui vous employait aussi déjà ?

Sandrine : Absolument, par contre c’est une pression qui est différente ! Quand tu pars une entreprise à zéro, tu te dis : Bon, j’y vais « All In » ! 

Opp : Advienne que pourra !

Sandrine : Quand tu reprends une entreprise qui est à sa deuxième génération qui a déjà des employés et qui a quelques années de vie, tu as la responsabilité de la sécurité des emplois ; la promesse que nous avons faite à nos producteurs de vin de les représenter (on prend ça très au sérieux). Tu ne veux pas arriver dans l’entreprise et tout bousiller. Ça te prend absolument cette mentalité-là pas employé, mais bien entrepreneurial. Puisque tu reprends, tu dois te mettre dans ces pantoufles-là en arrivant. Ça vient avec une pression énorme parce que tu peux tout bousiller. Ça prend de l’humilité, ça prend des années pour le transfert puisque tu ne peux pas penser que tu vas rentrer dans l’entreprise et que le transfert va se faire en 6 mois ! Il y a beaucoup de choses à apprendre, il y a un transfert de connaissances qui doit se faire. Il y a aussi tout le côté entrepreneurial parce que ça devient ta business ! Il faut que tu mettes ton chapeau d’entrepreneur pour que tu puisses penser à ta vision à long terme, pour que tes employés gardent leur emploi et pour continuer à subsister. Les premières années dans le transfert, il y a beaucoup d’intrapreneurship. Il y a cette possibilité de mettre un peu l’entreprise à ta main, lui donner ta couleur. Lorsque je suis entrée dans l’entreprise en 2009, j’ai voulu refaire tout le « branding ». Nous avons eu énormément de flexibilité, Maxime et moi pour prendre l’entreprise et l’amener où est-ce que nous on voulait. Il a fallu une grande ouverture d’esprit de nos parents, des fondateurs. Il a aussi fallu une flexibilité. Il faut accepter que nous aussi on aille peut-être se planter sur certains points comme eux se sont plantés sur d’autres points. Ça fait partie de la « game », ça fait partie du processus d’apprentissage.

Opp : Il faut la jouer la « game » 

Sandrine : Oui, absolument, ça prend beaucoup d’humilité. Cette pression-là, elle est définitivement présente. Alors, nous prenons ça très au sérieux. 

Opp : Sandrine, tu nous parles de 2009, je crois que ça l’a été une année déterminante pour toi où est-ce que tu es revenue dans l’entreprise familiale, mais aussi les gens qui nous regarde reconnaissent peut-être le visage, reconnaissent peut-être la voix du partisan Pom du match !

Sandrine : Il manque seulement Youppie !

Opp : Tu étais animatrice pour les matchs du Canadien. Tu as fait aussi les alouettes de Montréal, qu’est-ce que ça t’a amener cette expérience-là en marketing dans cette entreprise centenaire, biblique presque, qu’est les Canadiens de Montréal en plus de travailler devant 20,000 personnes ?

Sandrine : Mon expérience avec les Canadiens en fait, quand on parlait tout à l’heure de la présentation de mon projet devant jury au HEC… La raison pour laquelle je n’ai pas lancé mon entreprise c’est qu’à ce moment-là j’étais déjà animatrice de foule au centre Bell et mon patron Ray Lalonde, vice-président marketing aux Canadiens de Montréal, m’a offert un poste à temps plein dans les bureaux. La décision était : est-ce que je me lance en entreprise ou est-ce que je vais travailler pour l’entreprise la plus prestigieuse du Québec ? 

Opp : Solide question ! Beau dilemme !

Sandrine : Finalement, j’ai tranché et j’ai décidé d’aller travailler pour les Canadiens. J’ai toujours été le mouton noir de ma famille et je n’avais pas l’intention d’aller travailler dans l’entreprise familiale. Je me suis dit que peu importe ce qui arrive, ça va être une belle expérience ! En effet, ça l’a été une très belle école pour moi, où j’ai appris l’éthique de travail et j’ai appris plein de choses avec l’équipe avec laquelle je travaillais là-bas. Équipe avec laquelle j’entretiens encore des liens et avec laquelle j’entretiens une relation d’affaires. Ça m’a aussi démontré que j’étais une entrepreneur et que je ne pouvais pas travailler pour quelqu’un d’autre. Ça l’a été déterminant de ce côté-là. J’ai réalisé en 2009 que j’avais envie de travailler pour moi, d’être ma propre boss. C’est pour cela que je suis revenue dans l’entreprise familiale, travailler avec mon frère pour prendre la relève de l’entreprise. Puis, parler devant 20,000 personnes c’est devenu un « hobby », j’ai adoré l’expérience et cela me manque encore un peu. Je vais le dire franchement, c’est électrisant. Tu vis de l’énergie de la foule et elle a toujours été très généreuse en retour. J’ai eu énormément de plaisir à être animatrice. Aujourd’hui, ça me permet de gérer mieux mon stress, parce que parler devant 20,000 personnes n’importe qui trouverait cela difficile. C’est un peu déstabilisant les premières fois ! C’est d’apprivoiser le goût du risque en se disant : si je me plante et bien, je me plante ! Tu ris de toi et tu « move along » ! Ça l’a été un bel apprentissage pour moi, c’est ce qui a forgé ma personnalité.  Je fais encore bouger mes Pommettes dans mon salon en regardant le match des Canadiens !

Opp : En guise de nostalgie !

Sandrine : Oui ! 

Opp : Je suis pas mal certain que les gens au Centre Bell s’ennuient de toi encore !

Sandrine :  C’est réciproque !

Opp : Merci, Sandrine, de ton temps ! 

Sandrine : Merci, merci à vous ! On boit maintenant ? Est-ce que c’est l’heure de boire ?

Greg Lanctot

Greg est un créateur de relations hors pair, passé maître dans l'art d'organiser son temps entre sa vie professionnelle et sa passion pour l'haltérophilie et le CrossFit. Il est un entrepreneur qui attaque chaque défi de front. Fort d'un bagage de 10 ans dans les médias, où il est passé par des organisations comme Astral, Bell Média et La Presse (où il a été nommé dans le prestigieux "Top 30 Under 30" d'InfoPresse), il désire maintenant mettre à profit cette expérience pour son autre passion; le café. Sa vision d'une entreprise doit être très près de ses valeurs familiales, équitables, de partage, d'intégrité et de transparence.