Entrevue avec Fanny Rice, artiste-peintre

Une entrevue que les artistes souhaitant vivre de leur art se doivent de lire.

 

C’est au fameux incubateur pour « startups » CREW, rue St-Jacques, que l’équipe d’OPPORTUNITÉS a rencontré l’artiste-peintre-entrepreneure Fanny Rice, autour d’un excellent café, ou thé vert, c’est selon.

Vous aurez probablement vu passer ses œuvres sur LinkedIn, où elle se permet de publier quelques-unes de ses toiles remplies de couleurs pétillantes et au style bien particulier. Dans la foulée de son plus récent vernissage, où elle a exposé ses toiles inspirées de voyages près des océans, et de l’obtention d’une exposition à Miami, nous l’avons rencontré pour en apprendre plus sur la réalité de combiner vie d’artiste et d’entrepreneure.

O.CO : Te considères-tu davantage comme une (attention à la nuance) « artiste-entrepreneure », ou une « entrepreneure-artiste »?

F.R. : Définitivement une artiste-entrepreneure.

O.CO : Et comment cela t’est venu? As-tu toujours su que tu avais un talent pour les arts visuels?

F.R. : J’ai toujours voulu avoir le mode de vie d’une artiste. Le mode de vie dans lequel je pouvais gérer mon propre horaire, sans patron, et me lever le matin en faisant ce que je veux. Je ne voyais pas du tout comment je pouvais accomplir cela en optant pour un emploi « 9 à 5 » avec un patron qui est toujours derrière moi ! J’ai toujours aimé les projets créatifs. J’ai débuté la peinture un peu par hasard dans mon appartement de l’époque, puis j’ai eu la curiosité d’en apprendre davantage sur les différentes techniques mixtes et les mélanges de produits. Je ne pense pas prétendre que j’ai toujours su que j’avais un talent pour les arts, mais je dirais plutôt que ça m’a toujours fasciné. 

O.CO : Depuis combien de temps peins-tu dans ton propre studio?

F.R. : Ça fait une dizaine d’années que je peins, et j’en vis depuis 3 ans maintenant.

O.CO : Tu nous parlais de ton désir d’avoir ton propre horaire. À quoi une semaine typique d’une artiste visuelle peut-elle ressembler? Par exemple, passes-tu 70 heures par semaine sur tes œuvres?!

F.R. : Définitivement pas! Je me lève le matin, je prends le temps de m’entraîner, de faire ma routine matinale. Je ne pourrais pas me lever à 6 :00 le matin et aller tout de suite peindre dans mon studio, j’aurais l’impression de m’imposer un horaire et une pression de peindre. Mes journées ne sont pas vraiment planifiées d’avance. Je peux travailler sur des retours de courriel pendant un avant-midi, ou même aller dans mon studio pour compléter des commandes et préparer du matériel. J’essaie de faire 2 sessions de peinture par jour, de 11 :00 à 15 :00 et de 17 :00 à 20 :00, donc entre 5 et 8 heures maximum par jour.

O.CO : J’imagine que les journées doivent aussi dépendre de l’inspiration? Tu fais quoi dans les journées ou celle-ci n’est pas au rendez-vous?

F.R. : C’est certain que parfois, ça ne fonctionne pas! Ce que je souhaite reproduire comme image mentale ne donne pas ce que je veux sur ma toile. Dans ces cas-là, j’arrête simplement tout et je sors de mon studio. Je vais faire autre chose.

O.CO : La question peut sembler banale, puisque tu es une artiste, mais je crois qu’elle est fondamentale pour tout entrepreneur; l’inspiration, combien de temps te consacres-tu à celle-ci par semaine? Optes-tu pour la méditation, la course dans un parc, l’entraînement?

F.R. : Contrairement à d’autres artistes qui vont aller voir sur le web pour s’inspirer de photos de paysages, de visages, ou autres… Je prends mon inspiration dans les voyages, les grands espaces, le plein air (où je suis toujours), et quand j’arrive dans mon studio, je peins en abstrait ce que j’ai vu dans ces paysages, mais aussi ce que j’ai ressenti dans ces moments-là, les couleurs dont je me souviens, etc… En utilisant le web pour m’inspirer, ça dilue ces souvenirs et sentiments qui m’ont inspiré à créer mes toiles.

O.CO : Donc tu te sers « d’images mentales », ou prends-tu également des photos?

F.R. : Les deux. Par contre, ce n’est pas représenté symboliquement sur mes œuvres. Je me replonge énormément dans les couleurs qui me viennent en tête, qui vont m’inspirer à créer une toile dans ces teintes.

O.CO :  As-tu beaucoup voyagé pour créer tes toiles? Quelles sont tes aspirations pour tes prochaines destinations, tes rêves?

F.R. : Oui, j’ai fait plusieurs destinations comme le Danemark, le Sri Lanka, l’Indonésie, la majorité des Caraïbes, et je prépare un voyage pour Cuba, afin d’aller rafraîchir mes inspirations de paysages océaniques! Si tu connais l’artiste que je suis, tu peux décoder que j’adore le bleu, le turquoise, toutes les couleurs inspirées par l’océan. C’est une grande partie de mon art en ce moment. Je rêve d’aller en Islande, c’est certain que je fais un vernissage en revenant de ce pays… Peut-être que ce voyage m’emmènera vers un autre type de couleurs, vers les bruns, beiges… On verra!

O.CO : Y a-t-il selon toi des enjeux différents pour une artiste que pour une entrepreneure?

F. R. : Selon moi, c’est plus difficile de se démarquer pour une artiste et de vivre de leur art. Les barrières à l’entrée sont plus grandes pour l’artiste, contrairement à l’entrepreneur qui a plus d’outils à sa disposition pour réussir. Quand tu dis à tes proches que tu veux vivre de ton art, c’est bien rare qu’ils croient en toi. Au début de sa carrière, l’artiste est seul dans son studio, seul pour faire son développement de marché, et il n’y a pas vraiment de marche à suivre. Les artistes gardent bien précieusement leurs petits trucs, les noms de leurs fournisseurs de matériels et leur processus créatif, ce qui limitent ton accès à l’information à tes débuts dans le domaine. Beaucoup d’artistes ne se voient pas comme des entrepreneurs, et beaucoup de gens ne voient pas non plus les artistes comme des entrepreneurs en soi. Mais c’est l’erreur à faire! Tu dois travailler ton image de marque, ton « brand ». Je crois que c’est ce qui manque à plusieurs artistes pour percer dans leur carrière; l’attitude fonceuse, extravertie, ne pas avoir peur de défoncer des portes et ne pas avoir peur de se faire dire non.

O.CO : Dans ce cas, est-ce plus de pression? Admettons que tu tombes en panne d’inspiration pour une semaine, essaies-tu de « produire » (i.e. peindre) quand même? Est-ce que la panique s’installe?

F.R. : C’est certain qu’au débuttu essaies de peindre quand même, sans être nécessairement satisfait du résultat, tu te dis que tu ne peux pas aller t’asseoir chez toi sans rien faire. Mais tu dois respecter ton moment présent! C’est certain qu’il ne faut pas lâcher au premier moment où tu n’es pas satisfait, mais si tu constates que tu ne peux rien créer de bon, c’est préférable d’arrêter et aller se ressourcer. Tu dois écouter ton feeling du moment présent. Ce n’est pas 1 semaine sans peindre qui changera quelque chose dans ta carrière d’artiste.

O.CO : Donc ça doit prendre une énorme confiance en soi!?

F.R. : Absolument, c’est fondamental. Il faut avoir confiance en soi et en son art. C’est ce que beaucoup d’artistes non pas; ils ont peur d’aller devant les gens pour vendre leur art. Quand tu commences à aller en galerie, les gens te disent : « pourquoi n’essaies-tu pas tel style, ou couleur? ». On va tenter de changer ton style. Tu dois avoir une confiance inébranlable en ton produit!

O.CO : Parlant de galeries, tu as commencé récemment à exposer à l’international. De quelle façon ça fonctionne? Est-ce toi qui doit développer ces opportunités, faire ton développement des affaires? Te fais-tu approcher pour exposer?

F.R. : Je ne suis pas encore rendue au point de me faire approcher, mais ça viendra! Dans ce cas-ci, c’est moi qui est allée vers les galeries, qui a envoyé mon dossier marketing. J’avais repéré cette galerie à Miami et je voulais y exposer. C’est certain que les contacts aident également. Mes agents aux États-Unis et au Canada m’ont beaucoup aidé. Il faut également choisir les galeries en fonction de son style, qui cadrent avec ton art, les visiter, et foncer vers celles-ci.

O.CO : … Et tes aspirations pour les prochaines années, après les États-Unis?

F.R. : Je veux, dans les deux prochaines années, être exposée à Vancouver, Toronto, Los Angeles. Mon art se vend bien dans des marchés près des océans, encore une fois, et c’est là que je veux être exposée. Tous les artistes rêvent de New York, le gros méchant loup de l’art, mais il y a d’autres endroits que je veux percer avant d’y faire mon entrée.

O.CO : Avant d’être une artiste-entrepreneure, tu es surtout une femme entrepreneure. Remarques-tu qu’il y a des communautés de femmes d’affaires dans lesquelles tu peux faire un réseautage?

F.R. : J’ai un gros marché dans les bureaux d’avocats, notaires, médecins, comptables, alors j’aime bien m’associer à ces femmes de têtes qui dirigent ce type d’entreprise. Mais je ne fais pas partie de BNI, ou autres organisations du genre. J’utilise d’autres outils pour développer mon réseau.

O.CO : Quels sont-ils, ces outils?

F.R. : Les réseaux sociaux, surtout LinkedIn et Instagram, sont d’excellents outils. Je garde quand même une présence sur Facebook, mais ces deux-là m’ont vraiment emmené des clients pour mon art. Au début de ma carrière, j’ai cogné aux portes de bureaux d’avocats et notaires, et j’ai affiché mes toiles en consignation dans ces endroits. Je choisissais naturellement des endroits avec une forte affluence.

O.CO : Te butes-tu souvent au prix de tes toiles? Les clients tentent-ils souvent de négocier les prix affichés, comme une voiture, une maison?

F.R. : Je reviens à la confiance en son art. C’est certain qu’en démarrage, on essaie plus de négocier les prix des toiles, parce qu’on n’a pas tout à fait confiance en la valeur du produit. Je faisais des soumissions à la baisse, avant même de me faire négocier! J’ai donc instauré un système de prix fixe par pouce carré, et c’est beaucoup plus simple pour moi et ma clientèle.

O.CO : La question classique de toute entrevue; si tu pouvais donner un conseil à la Fanny en début de carrière, ou à toute autre artiste en démarrage... Qu’elle serait-elle et pourquoi?

F.R. : Je lui dirais que si elle veut vivre de son art, il ne faut absolument pas qu’elle regarde le côté monétaire dès le départ. D’oublier ce qu’on lui a enseigné, le modèle de sécurité financière avec emploi à temps plein, le moule, quoi! Brise ces règles-là, continue malgré les ennuis financiers du début. Fais-toi confiance et aie confiance en tes créations. Les clients vont le sentir, dans le cas contraire… Qui voudrait acheter une œuvre d’un(e) artiste sans savoir si cet(te) artiste en vivra dans quelques années? C’est drôle de penser à donner des conseils à un(e) jeune artiste, je ne me vois pas encore comme étant une ultime réussite!

O.CO : Allons-y... Quelle est ta vision de la réussite?

F.R. : Réussir, pour moi, c’est de faire ce que j’aime chaque jour. Chaque matin je me lève, heureuse et chanceuse de pouvoir vivre de mon art. Je pourrais vivre comme je suis actuellement, avec 2 galeries, et je considèrerais que j’ai réussi, que je suis comblée. Mais mon côté entrepreneurial me pousse à développer plus loin ma marque, car je veux que mes toiles prennent de la valeur, et mon « brand » aussi!

O.CO : As-tu bénéficié de l’aide de mentors ou de coach d’affaires pour t’aider dans ton développement?

F.R. : J’ai un bon ami dans le domaine des finances qui m’a guidé à structurer mon entreprise et mettre les énergies aux bons endroits pour démarrer. Son nom est Marc Bérubé, président de Trek Coaching Financier, à Laval. 

O.CO :  Je te laisse le mot de la fin. Parles-nous de ton art, de ton style, de tout ce que tu veux!

F.R. : J’ai un style abstrait et très coloré. Mon style artistique est empreint de fluidité, de mouvements volcaniques, de textures et de mystère. J’adore toutes les teintes de bleu; turquoise, bleu royal et la couleur saumon. Je pourrais juste peindre avec ça! Tout ce qui rappelle l’océan en fait. J’utilise de l’acrylique et de la résine de haute qualité que j’importe de Californie, et j’ai dû faire beaucoup de recherches et d’essais-erreurs pour trouver la bonne combinaison qui donnait exactement le produit fini que je recherchais. En tant qu’artiste, on espère trouver rapidement cette bonne combinaison qui va nous permettre de déployer nos grandes ailes dans ce domaine si féroce. Après quelques années de recherche, je peux maintenant dire que je suis heureuse à travers mon art et fière que mes œuvres attirent l’attention des plusieurs collectionneurs à travers le monde.

Greg Lanctot

Greg est un créateur de relations hors pair, passé maître dans l'art d'organiser son temps entre sa vie professionnelle et sa passion pour l'haltérophilie et le CrossFit. Il est un entrepreneur qui attaque chaque défi de front. Fort d'un bagage de 10 ans dans les médias, où il est passé par des organisations comme Astral, Bell Média et La Presse (où il a été nommé dans le prestigieux "Top 30 Under 30" d'InfoPresse), il désire maintenant mettre à profit cette expérience pour son autre passion; le café. Sa vision d'une entreprise doit être très près de ses valeurs familiales, équitables, de partage, d'intégrité et de transparence.